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aussitôt. « L'enfant, disait Aristote le Sagace, appelle d'abord tous les hommes
papa » C'est en essayant les signes qu'il arrive aux idées ; et il est compris bien
avant de comprendre ; c'est dire qu'il parle avant de penser.
Le premier sens d'un signe, remarquez-le, c'est l'effet qu'il produit sur
d'autres. L'enfant connaît donc premièrement le texte humain par mémoire
purement mécanique, et puis il en déchiffre le sens sur le visage de son
semblable. Un signe est expliqué par un autre. Et l'autre, à son tour, reçoit son
propre signe renvoyé par un visage humain ; chacun apprend donc de l'autre,
et voilà une belle amitié. Quelle attention que celle de la mère, qui essaie de
comprendre son petit, et de faire qu'il comprenne, et qui ainsi en instruisant
s'instruit ! En toute assemblée, même rapport ; toute pensée est donc entre
plusieurs, et objet d'échange. Apprendre à penser, c'est donc apprendre à
s'accorder; apprendre à bien penser, c'est s'accorder avec les hommes les plus
éminents, par les meilleurs signes: Vérifier les signes, sans aucun doute, voilà
la part des choses. Mais connaître d'abord les signes en leur sens humain,
voilà l'ordre. Leçons de choses, toujours prématurées ; leçons de signes, lire,
écrire, réciter, bien plus urgentes. Car, si ce ne sont point nos premières idées
fausses que nous tirons peu à peu vers le vrai, nous pensons en vain. Comme
il arrive pour les merveilles de la technique, tout l'esprit est dans la machine,
et nous restons sots.
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 80
Livre2 : L expérience méthodique
Chapitre V
Des idées générales
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Je ne donnerais pas une minute à un problème qui n'intéresserait que les
disputeurs. Mais il y a des hommes, et j'en connais, qui croient avoir beaucoup
gagné vers le vrai quand ils se sont élevés, comme ils disent, à une idée
générale. Or, je n'ai jamais compris ce qu'ils allaient chercher par là ; car ce
qu'il y a à connaître, c'est certainement le vrai de chaque chose, autant qu'on
peut. Il me semble donc que le mouvement naturel de l'esprit est de descendre
des idées aux faits et des espèces aux individus. J'avais remarqué aisément,
outre cela, que presque toutes les erreurs du jugement consistent à penser un
objet déterminé qui se présente d'après une idée commune à cet objet-là et à
d'autres ; comme si l'on croit que tous les Anglais s'ennuient et que toutes les
femmes sont folles. Et enfin il m'a semblé que les théoriciens, dans les
sciences les plus avancées, sont aussi ceux qui sont le mieux capables d'appro-
cher de la nature particulière de chaque chose, ainsi que lord Kelvin expliqua
des perturbations purement électriques dans les câbles sous-marins d'après la
théorie purement algébrique des courants variés, tout cela m'aidait à com-
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 81
prendre que les cas particuliers et les individus ne sont pas donnés à la pensée,
mais plutôt conquis par elle, et non pas complètement ; et que, lorsqu'on dit
que les enfants ou les ignorants en sont réduits à la connaissance des choses
particulières, on parle très mal, car ils n'ont que des perceptions mal distinctes
et ne voient pas bien les différences. Toujours est-il que, lorsque je m'appro-
che d'un être pour l'observer, je le vois d'abord en gros, et de façon que je le
confonde aisément avec beaucoup d'autres ; je vois un animal, un homme, un
cheval, un oiseau. Même souvent, j'essaie une idée, puis une autre, me servant
d'abord d'un mot puis d'un autre, ce qui est bien exactement penser par le
moyen d'idées générales, mais en cherchant toujours la perception particulière.
De même les anciens astronomes ont pensé la loi d'abord, lorsqu'ils ont
supposé que les astres décrivent des cercles; ensuite ils ont supposé l'ellipse,
c'est-à-dire une courbe plus compliquée, d'après quoi ils approchent de la
trajectoire réelle, qui est beaucoup plus compliquée encore.
Ces remarques sont pour rassurer le lecteur qui aurait le dessein de suivre
les propositions du précédent chapitre concernant l'acquisition des idées ; car
il ira à renverser complètement les notions qu'il a lues partout, non pas chez
les Grands, qu'on ne lit guère, mais chez les philosophes de cabinet. Sommai-
rement voici le dessin abstrait de toute acquisition d'idées. Le premier signe
qui soit compris désigne naturellement tout, sans distinction de parties ni de
différences ; et la première idée, jointe à ce premier signe, correspond à une
idée très simple et très générale, comme Être, ou Quelque chose. Le premier
progrès dans la connaissance consisterait à apercevoir et à désigner deux parts
dans le Quelque chose, dont l'un serait par exemple Maman et l'autre Papa, ou
bien Lélé, ou bien Lolo. Je cite ces deux mots enfantins, parce que j'ai remar-
qué que les petits Normands appellent le lait Lolo, comme l'eau, au lieu que
les petits Bretons appellent l'eau Lélé comme le lait ; et ces deux exemples
font bien voir comment un mot sert d'abord pour beaucoup de choses ce qui
revient à dire que l'on va toujours d'un petit nombre d'idées très générales, à
un plus grand nombre d'idées plus particulières. Les linguistes auraient à
témoigner là-dessus, d'après ces racines que l'on retrouve modifiées mais
toujours reconnaissables en tant de mots différents, ce qui montre assez que le
même mot a d'abord désigné beaucoup de choses, d'après les ressemblances
les plus frappantes. Toujours est-il que les peuplades les plus arriérées éton-
nent les voyageurs par un usage qui se retrouve en toutes, de donner aisément
lé même nom à des êtres qui se ressemble fort peu. Au reste l'ancien jeu des
métamorphoses traduit assez bien une disposition à penser l'identique ; dispo-
sition enfantine de l esprit toujours soutenue par les mots. Et sans doute les
métaphores témoigneraient de même. Mais halte-là! Ce sujet des métaphores
offre aussitôt, après de trop faciles remarques, des difficultés supérieures.
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 82
Livre2 : L expérience méthodique
Chapitre VI
Des idées universelles
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Une idée est dite générale lorsqu'elle convient à plusieurs objets ; mais
quand on dit qu'une idée est universelle, on ne veut point dire du tout qu'elle
convienne à tous les objets ; car il n'y a que les idées de possible ou d'être qui
soient dans ce cas, et elles sont bien abstraites et creuses. Et pour les idées
d'espace, de temps, de cause, qui sont évidemment des relations on ne peut
point dire qu'elles appartiennent à quelque objet ; on dirait mieux qu'elles sont
nécessaires, c'est-à-dire que toute pensée les forme, sans pouvoir les changer
arbitrairement. Et puisqu'il y a des idées qui sont communes à tous les esprits,
ce sont ces idées-là qui doivent être dites universelles ; et l'on ne fera que
revenir au commun usage ; car si l'on dit que quelque chose est généralement
admis, cela veut dire que l'expérience y conduit la plupart des hommes,
d'après des cas à peu près semblables. Au lieu que si l'on dit que quelque
chose est universellement admis, on veut exprimer que cela est clair et indé-
niable pour tout esprit qui entend la question.
Alain (Émile Chartier) (1916), Éléments de philosophie 83
Disons donc que ce n'est point parce qu'une idée est très générale qu'elle [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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